XV
DE VIEUX FANTOMES

Le Benbow, bâtiment de Sa Majesté Britannique, tanguait sévèrement dans la houle, coque et passavants étaient trempés par les embruns. Les moutons couraient sur le Solent et le vent hululait dans les haubans et les voiles ferlées.

Bolitho signa encore une lettre et attendit que son secrétaire l’eût rangée avec les autres. Autour de lui, le bâtiment grondait et murmurait, comme s’il comprenait ce que signifiait ce changement de mouillage. Ils avaient quitté le port et cinglaient vers Spithead.

— Je vais faire porter ce paquet par le canot de service, amiral, lui dit Yovell.

Il observait avec curiosité le profil de Bolitho, comme surpris par ce subit changement de comportement.

Yovell n’était pas stupide au point de ne pas comprendre ce qui se passait. Au début, il s’était dit que Bolitho ne parvenait pas à cacher le soulagement que lui avait causé l’issue de ce duel. Si Roche ne s’était pas montré aussi lâche, Bolitho aurait pu aussi bien être mort à cette heure, et les retombées de l’Amirauté n’auraient épargné personne à bord, pas même un modeste secrétaire.

— Parfait, fit Bolitho. La vie en mer est peut-être rude, elle a aussi ses avantages, au moins pour ceux qui détestent écrire des dépêches, en particulier celles qui n’ont guère de chances d’être lues.

On frappa à la porte, Herrick entra. Les embruns faisaient scintiller son uniforme.

— Je suis paré à lever l’ancre, amiral, dès que vous voudrez.

Bolitho fit signe à Yovell, qui enfourna les dépêches dans son sac de toile et quitta les lieux.

— Très bien, Thomas. Nous allons rallier l’escadre et reprendre notre mission – il tapa de sa règle sur la table. J’ai reçu un jeu complet d’instructions rédigées par l’amiral Beauchamp. Je crois qu’il a tellement hâte de me savoir en mer qu’il n’a même pas pris le temps de me recevoir – et, grimaçant un sourire : Je n’ai pas à me plaindre, poursuivit-il, il s’est montré plus que patient.

— Patient, amiral ! s’exclama Herrick. Après tout ce que vous avez fait ? Pincez-moi si j’emploie un mot pareil !

Bolitho appela Ozzard.

— Je prends bonne note de votre dévouement, Thomas. Cependant, sans nos succès et sans les renseignements que j’ai consignés dans mon rapport au sujet de ces galères danoises, je crois malheureusement que l’autorité de Beauchamp n’aurait pas suffi à me protéger.

— De retour à l’escadre, hein ? nota Herrick tandis qu’Ozzard remplissait deux verres de madère. Cette fois-ci, amiral, les choses seront différentes pour vous.

— Oui, acquiesça Bolitho, c’est gentil à vous de m’avoir assisté dans ce domaine.

— Gentil ? – Herrick se mit à rire. Elle adore s’occuper des pauvres marins ! Elle s’est même usée à organiser le mariage de ma sœur – il redevint sérieux : Seigneur, la dame en question est de toute beauté, amiral. Vous irez très bien ensemble.

Bolitho laissait son esprit vagabonder. En quelques jours, sa vie avait changé. Belinda Laidlaw avait abandonné son emploi de dame de compagnie auprès de la femme du juge pour accepter sans la moindre hésitation l’offre d’hébergement de Mrs. Herrick. Elle lui avait dit : « A condition que vous m’autorisiez à vous aider en retour. »

Dulcie Herrick avait éclaté de rire : « Merci, ma chère, vous seriez vite épuisée par mes caprices et mes manies ! »

Mais elles étaient toutes deux fort heureuses de cet arrangement.

Bolitho avait réussi à dominer sa seule crainte : qu’après l’avoir vu partir en mer pour des semaines, des mois même, elle pût regretter sa décision et s’en aller voir ailleurs. Comme l’avait souligné Herrick, elle était belle et désirable.

Ses craintes le reprenaient. Il poursuivit :

— Je lui suis reconnaissant et je suis fier d’elle, Thomas. J’ai essayé de lui écrire, mais il m’a fallu deux brouillons pour trouver mes mots. Et même ainsi, je les trouve vides, ils ne disent pas ce que je ressens et, se tournant vers son ami : Voilà que j’en parle comme un aspirant amoureux, mais je ne peux pas m’en empêcher.

Herrick avala son verre.

— Cela se voit, amiral : dans votre façon d’être, à votre figure. Et cela vous va bien – il se leva. Je serai prêt à lever l’ancre dès que le canot sera rentré.

Il hésita à la porte :

— Mais c’est mieux ainsi, en quelque sorte, de savoir qu’elles se tiendront compagnie tandis que nous nous payons ce foutu blocus.

Bolitho resta assis longtemps à ruminer ses pensées. Herrick ignorait énormément de choses. Par exemple, il ne savait pas que Damerum était revenu exercer son commandement, que ce serait à lui de décider où il mettrait l’escadre côtière. Non, mieux valait laisser Herrick tranquille avec cela le plus longtemps possible. Être obligé de surveiller ce que fabrique derrière votre dos un supérieur qui vous est hostile est le meilleur moyen d’aller droit à la tombe.

Deux heures plus tard, leur ancre énorme dérapait. Le Benbow tomba lentement sous le vent, voiles battantes avant que le safran et les huniers au bas ris ne le fissent plonger dans les premiers creux.

Bolitho se tenait sur le côté de la dunette, insensible au vent humide et aux hommes qui s’activaient sur les bras et les drisses.

Il emprunta sa lunette à l’aspirant de quart et balaya lentement les remparts de Portsmouth, les forts et les batteries. On eût dit qu’ils étaient faits de métal et non de pierre. Ils paraissaient déjà si loin, comme hors d’atteinte.

Quelque chose bougeait au bord du champ de la lunette, il déplaça lentement l’instrument pour examiner l’objet de plus près.

Elle était trop loin pour qu’il pût distinguer ses traits, mais elle portait ce même manteau bleu qu’elle avait sur elle lorsque sa voiture s’était retournée. Elle avait détaché ses cheveux qui volaient au vent et agitait son mouchoir au-dessus de sa tête.

Bolitho fit quelques pas vers l’arrière, une batterie de flanquement commençait à la cacher inexorablement, comme une porte qui se referme.

Il se hâta vers l’échelle de poupe et, maintenant la lunette d’une seule main, commença à agiter lentement sa coiffure d’avant en arrière, même s’il était assez improbable qu’elle pût le voir. Puis il retourna sur la dunette et rendit son instrument à l’aspirant.

Lorsqu’il s’approcha des filets, l’inclinaison de la terre avait encore augmenté et la petite tache bleutée surmontée de cheveux châtains disparut à sa vue.

Il se la rappelait, telle qu’il l’avait vue pour la dernière fois, il sentait encore ce corps souple abandonné entre ses bras.

Belinda.

Le lieutenant de vaisseau Speke se tourna vers lui, un peu inquiet :

— Je vous demande pardon, amiral ?

Bolitho avait parlé tout seul sans s’en rendre compte.

— Euh non, rien, monsieur Speke.

Herrick avait tout entendu et dut se retourner pour dissimuler son sourire, tout en remerciant le ciel de la bonne fortune qui venait de rendre à Bolitho un bonheur inespéré.

Le vieux Grubb n’en avait pas perdu une miette lui non plus. Il se moucha bruyamment et laissa tomber :

— Le vent est établi, tout va bien, brassé carré partout.

Dulcie Herrick quitta les remparts détrempés et cria à sa compagne :

— Vous feriez mieux de rentrer, ma chère, vous allez périr de froid.

Elle avait désiré plus que tout pouvoir assister à l’appareillage du Benbow et faire de grands signes d’adieux au vaisseau qui envoyait sa toile avant de céder lourdement à la pression du vent. Sa modeste expérience lui avait pourtant appris à quel point ces moments étaient importants, trop importants pour que l’on pût les partager avec quiconque.

La jeune femme se retourna pour la regarder. Ses yeux noisette étaient tout embués. Elle demanda :

— Avez-vous entendu ? Les marins chantaient…

— Une chanson à virer, je l’ai entendue comme vous. Cela m’émeut toujours beaucoup. Surtout aujourd’hui.

La jeune femme descendit les marches de pierre et passa la main sous son bras.

— Il y a tant de choses que j’aimerais savoir sur lui, sur son monde – elle serra plus fortement le bras de sa compagne et ajouta : J’ai été tellement idiote, Dulcie, j’aurais pu le perdre.

 

Les journées qui suivirent le retour du Benbow à l’escadre ne connurent rien de notable, si ce n’est le vide. Chacune était aussi triste que la précédente. Puis les jours devinrent des semaines, les bâtiments de Bolitho enduraient le mauvais temps en répétant inlassablement les allers et retours de cette interminable patrouille. Les équipages avaient l’impression d’être les derniers survivants d’un univers qui les avait oubliés.

Les frégates et la corvette elles-mêmes n’avaient pas grand-chose à se mettre sous la dent. Pas un mouvement à l’entrée ou à la sortie de la Baltique. Les commandants devaient inventer des concours divers et garder leurs hommes occupés pour maintenir la discipline malgré la routine.

Bolitho envoyait à tour de rôle les bâtiments faire une brève escale au pays. Pendant ce temps, ceux qui restaient à la mer commençaient à compter les jours, attendant de voir revenir l’heureux élu, qui les libérerait à leur tour.

L’Implacable était la plus grosse des deux frégates et s’était donc vu assigner un poste autour du Skaw et plus bas, dans le Kattegat. Lorsqu’il reprenait contact avec l’escadre, ce qui était rare, c’était par l’intermédiaire du Styx ou de leur corvette, La Vigie. Bolitho se demandait souvent comment se comportait son neveu et s’il se souciait seulement de ce duel, ainsi que de ce qui l’avait provoqué.

Le premier vaisseau à rentrer de cette courte relâche en Angleterre fut l’Odin, le soixante-quatre du commandant Inch. Bolitho était monté sur la dunette pour assister au spectacle : le deux-ponts se rapprochait à toute vitesse de l’escadre. Il avait le pressentiment que ce serait le dernier. Il ne fut pas surpris d’entendre Oughton, le lieutenant de vaisseau qui venait d’embarquer, annoncer :

— Signal de l’Odin, amiral ! Le commandant sollicite l’autorisation de venir à bord !

Herrick s’approcha de Bolitho :

— Je suis curieux de savoir quelles nouvelles il peut bien nous rapporter, amiral.

Quelques marins de la bordée de repos se tenaient sur le passavant. Les hommes étaient maintenant si habitués à ce temps froid que la plupart d’entre eux étaient bras nus et sans souliers. Eux aussi devaient attendre les nouvelles avec impatience : est-ce qu’on allait lever le blocus, la guerre était-elle finie, les Français avaient-ils envahi l’Angleterre ?

— Quelles que soient les nouvelles, Thomas, Inch a visiblement hâte de nous les transmettre. S’il envoyait encore un tout petit peu de toile, il démâterait !

Ils en sourirent tous les deux : Inch n’avait jamais eu la réputation d’être un fin manœuvrier, mais son courage et sou dévouement sans faille compensaient largement cette faiblesse.

L’Odin était déjà bout au vent, voiles battantes, pour larguer le canot d’Inch.

— Canot à la mer, amiral, annonça Wolfe – et, se tournant vers l’aide du pilote : Faites armer la coupée !

— Il vaudrait mieux que les renseignements en vaillent la peine, fit Herrick à voix basse. Nous voilà en mars à présent, et on dirait que nous sommes toujours aussi loin d’une issue que lorsque nous avons quitté Spithead, en septembre – il laissa errer son regard sur son bâtiment avant d’ajouter : Mais nous nous sommes fait une réputation, c’est sûr.

Inch franchit la coupée en s’agrippant des deux mains, le chapeau de travers, avec son air chevalin. Il salua la garde puis le pavillon. Lorsqu’il aperçut enfin Herrick et Bolitho, il courut presque vers eux.

— Doucement, lui dit Bolitho avec un grand sourire, les hommes vont croire que nous nous retirons d’ici !

Inch accepta de se laisser conduire jusqu’à la chambre avant de laisser enfin échapper :

— Nous sommes en train de rassembler une grande flotte, amiral. L’amiral Sir Hyde Parker en prend le commandement, il doit franchir le Sound pour attaquer Copenhague !

Bolitho hochait lentement la tête. Tout se passait comme Beauchamp le lui avait laissé pressentir. Avec le répit que donnait à la marine et à ses ressources éparpillées par le monde la prise de la glace dans la Baltique, il allait bientôt être temps d’agir.

Sans laisser au tsar Paul le temps d’unir ses forces à celles des Prussiens et des Suédois pour lancer une attaque massive, il fallait agir sur le maillon le plus vulnérable, et le Danemark semblait tout désigné pour être intimidé.

Bolitho ne ressentait aucun enthousiasme à cette idée. Il revoyait les flèches vertes des églises, ces gens agréables, les bâtiments élégants de la ville.

— Et qui sera l’adjoint de Hyde Parker ? demanda Herrick.

Inch prit un air perplexe :

— Ça, c’est une chose que je n’arrive pas à comprendre : il s’agit du vice-amiral Nelson.

Herrick tapa des mains.

— Voilà qui est merveilleux ! Nelson, l’homme qui a battu les Français à Aboukir, celui que les matelots suivraient jusqu’en enfer au besoin, eh bien, on en fait l’adjoint de Hyde Parker !

Bolitho restait silencieux, mais il déchiffrait clairement le sens des propos de Herrick. On aurait dit que l’on voulait punir Nelson d’avoir été vainqueur, d’être devenu un héros national. Hyde Parker avait vingt ans de plus, c’était un homme très riche. Voilà tout ce que Bolitho savait de lui. Oui, il avait également une femme qui aurait pu être sa fille et que l’on avait surnommée assez irrévérencieusement dans la flotte Pâte-à-Pudding.

Inch sortit une longue enveloppe de dessous son manteau et la tendit à Bolitho.

— Vos ordres, amiral – il respirait bruyamment, brûlant visiblement de savoir ce que contenait le pli. Notre partie à nous.

Herrick saisit la balle au bond :

— Venez dans ma chambre, Francis. Nous allons prendre un verre pendant que vous nous ferez part des derniers scandales.

Bolitho s’assit lentement et déchira l’enveloppe.

Tout était rédigé dans un style net et précis, il pouvait presque entendre le ton sec de Beauchamp, rien qu’à parcourir la liste des bâtiments, dont quelques-uns étaient fameux et qu’il connaissait pour la plupart, ainsi que leurs commandants. Ils constituaient une flotte formidable, mais si l’ennemi parvenait à combiner ses forces, les bâtiments de ligne de Hyde Parker et ceux de Bolitho en particulier allaient devoir se battre à un contre trois.

Il se souvenait de ce qu’il avait vu et appris à Copenhague, les barrages et les batteries flottantes, les galères et les bricks armés, les galiotes à bombes. Il savait qu’il ne s’agissait pas de broutilles ni d’un instrument de dissuasion. Il s’agissait d’une menace bien réelle et les Danois allaient réagir avec la plus grande détermination.

Il appela Ozzard, mais c’est Allday qui entra.

— Nous allons attaquer, Allday – c’était étrange, mais il n’avait aucune difficulté à annoncer la nouvelle à Allday. Voudriez-vous demander au commandant Herrick de nous rejoindre, je vous prie ?

Allday fit la grimace :

— Bien, amiral – et, jetant un coup d’œil aux sabres accrochés dans leur râtelier : Cette fois-ci, fit-il observer, je pense qu’on va pouvoir s’en débarrasser. Je trouve qu’on a fait notre part.

— Il n’y a pas de part qui tienne, répondit Bolitho en souriant.

Il résuma rapidement à Herrick et à Inch le contenu de la dépêche, sans la moindre émotion. Leur rôle exact dans l’affaire n’était pas encore très clair. L’amiral Damerum devait commander l’escadre de soutien qui allait protéger les bâtiments de ravitaillement et tenir à l’écart d’éventuels français qui tenteraient de briser le blocus pour participer à la bataille. A première vue, son rôle n’était pas des plus importants.

Herrick finit par dire :

— C’est nous qui assumerons la plus grande part de l’affaire.

Inch fut encore plus net :

— Quel malheur de voir que notre Nel ne sera pas à l’avant-garde, avec notre amiral en soutien !

— Je propose de boire à cette opinion, Francis, conclut Herrick, assez renfrogné.

Bolitho baissa les yeux pour dissimuler un sourire. Inch lui faisait une confiance insensée, cela en devenait agaçant.

— La flotte se rassemblera à l’entrée du Sound vers la fin du mois.

Il essaya de chasser son visage de son esprit, de ne pas penser à ce qu’elle avait dû endurer lorsque la nouvelle s’était répandue en Angleterre. La fin du mois, avait-il annoncé. C’était dans moins de deux semaines.

— Tout est dans les mains de Sir Hyde Parker.

Il imaginait l’étroit chenal du Sound et la grande batterie d’Elseneur qui le défendait plus haut. Si les Suédois ouvraient eux aussi le feu au canon, les escadres allaient se faire hacher menu sous les tirs croisés.

— J’aimerais retourner à mon bord, amiral… dit Inch – il se troubla soudain – … j’ai quelques lettres pour l’escadre.

Les deux commandants quittèrent les lieux et Bolitho entendit Herrick qui demandait à l’autre :

— Comment va votre femme ?

— Hannah va bien, je vous remercie. Nous attendons notre premier enfant.

Il n’entendit pas le reste, étouffé derrière la porte qui se refermait.

Bolitho se leva et commença à arpenter sa chambre. Dans le temps, aucun d’entre eux ne se souciait du jour qui passait ni du lendemain. A présent, Herrick et Inch avaient des femmes. Il s’arrêta près des fenêtres de poupe, on sentait les vibrations du safran sous la voûte. Herrick abattait pour faire au canot de l’Odin une zone de calme sous le vent.

Voilà ce que signifiait une marque en tête d’artimon, sa marque. Il ne s’agissait pas d’une bataille de plus, d’une tâche à exécuter bêtement et qui ne requérait rien d’autre que le sens de la discipline et un peu de courage. Non, il s’agissait d’hommes. Des gens comme Herrick et Inch, dont les femmes devaient mener elles aussi leur propre combat, chaque fois qu’un vaisseau de guerre levait l’ancre. Des gens ordinaires avec leurs espoirs et leurs problèmes, qui n’avaient pas d’autre choix que de faire confiance à leur chef.

Il se souvint avec une netteté subite de ce qu’elle lui avait dit pendant leur dernière étreinte : « Revenez-moi sain et sauf, Richard. Je ne demande rien de plus. »

Désormais, la même responsabilité pesait aussi sur lui.

Il se tourna vers l’Odin qui changeait d’amure et dont la silhouette tremblotante derrière les vitres épaisses s’allongeait lentement. Ses voiles se détachaient comme des ailes sur le fond de nuages sinistres.

Une heure plus tard, alors que l’escadre avait repris sa route en formation serrée, Herrick redescendit le voir. Bolitho était toujours près de la fenêtre, les mains posées sur le rebord pour soulager sa jambe malade.

Bolitho aperçut son reflet dans les vitres couvertes de sel.

— Nous convoquerons les commandants à bord dès que je saurai ce que l’on attend de nous. Je veux les voir avant de livrer bataille.

Il pensait à Browne : nous qui sommes les heureux élus.

— Signalez à La Vigie de rappeler L’Implacable de sa patrouille.

Herrick acquiesça :

— J’y vais tout de suite, le jour tombe – et, un peu inquiet : Allez-vous lui dire la vérité, amiral ?

Bolitho n’eut pas besoin de lui demander de préciser sa pensée.

— Il en a le droit, Thomas. Rien de tout cela n’est sa faute.

— Ni la vôtre, amiral, répondit tristement Herrick.

— Peut-être – il lui fit face. Pour le moment, allez faire ce signal. Ensuite, nous pourrions souper ensemble, hein ?

De nouveau seul, Bolitho alla s’asseoir à sa table et resta là à écouter les bruits du bord. Le gréement et les espars, les membrures et les palans, tous les apparaux murmuraient leur petite chanson à eux.

Il sortit un peu de papier d’un tiroir, prit une plume sur un support confectionné par Tregoye, le charpentier. Un Cornouaillais comme lui, qui ne disait pas grand-chose, mais qui lui avait laissé cet objet en souvenir. Il savait que Bolitho comprendrait ce que cela représentait.

Il réfléchit quelques instants, essayant de se souvenir comment elle se tenait à lui et aussi, dans les moments de paix, cette façon qu’elle avait de mettre ses mains dans son giron, comme une enfant.

Puis, sans aucune hésitation, il se mit à écrire. « Ma très chère Belinda…»

Si le brick du courrier les trouvait avant la bataille, elle recevrait peut-être cette lettre. Pour lors, tout serait accompli, mais du moins saurait-elle qu’il avait pensé à elle dans ces moments, à cette heure où, à la tête de sa petite escadre, le Benbow faisait voile vers les ombres de la nuit.

 

Bolitho entendait le bruit étouffé des appels lancés par les coups de sifflet indiquant l’arrivée d’un autre de ses commandants pour la brève conférence qu’il avait organisée. Brève, elle devait l’être, car, avec autant de bâtiments dans le voisinage, renforcés par les frégates de patrouille, les bricks, les navires de ravitaillement et le reste, ils n’avaient même pas assez d’eau pour mouiller.

La semaine qui venait de s’écouler avait été chargée, mais moins tendue. Une fois qu’ils savaient qu’un plan de bataille était conçu, si confus qu’il parût au matelot ou au fusilier ordinaires, les hommes trouvaient une nouvelle énergie pour accomplir leur travail. Il fallait transborder les réserves, la poudre et les boulets pour rééquilibrer des coques qui avaient fait un peu de lard.

Pendant la journée, les vigies avaient encore signalé de nombreux bâtiments de la flotte de Hyde Parker qui se rassemblaient avant d’entamer un chenalement périlleux dans le Sound.

Quelqu’un frappa à la porte ; Bolitho entendait des bruits de pas, on eût cru des acteurs qui se préparaient à entrer en scène.

Browne passa la tête :

— Tout le monde est là, amiral – et il ajouta, comme s’il y pensait soudain : Le vent est stable, amiral, Mr. Grubb prévoit qu’il va rester comme ça.

— Faites entrer, lui dit Bolitho en avançant pour aller serrer la main de ses jeunes commandants : Veitch, de La Vigie et Keverne, de L’Indomptable.

Celui-là n’avait pas changé d’un poil en dépit de ses nouvelles fonctions. Il avait toujours cette bonne tête de gitan que Bolitho lui avait connue lorsqu’il était son second à bord de l’Euryale. Puis Inch et, naturellement, Neale, du Styx, suivi par le capitaine de vaisseau Peel, de L’Implacable.

Herrick entra le dernier avec le commandant Valentine Keen, Nicator. Ces deux-là avaient fait tant de choses ensemble, aux Antilles d’abord puis dans les mers du Sud, là où Bolitho avait manqué périr de la fièvre.

Bolitho lui serra chaleureusement la main :

— Alors, comment allez-vous ?

Keen savait très bien que la question était à double sens. Son prédécesseur à bord du Nicator était un lâche et un menteur, le bruit courait qu’il était mort d’une balle tirée par un membre de son propre équipage. Le Nicator était alors un navire de malheur mais, sous le commandement de Keen, il avait repris vie à une vitesse surprenante.

— Très bien, amiral, répondit Keen en souriant, vous pouvez compter sur nous.

Herrick lui donna une grande claque sur l’épaule :

— Assez parlé, l’ami Val ! Finissons-en avec cette réunion pour avoir le temps de prendre un verre !

Bolitho était assis derrière sa table, ses pieds lui transmettaient le lent roulis et le tangage du pont.

— J’ai reçu nos ordres définitifs, messieurs.

Ils avaient tous les yeux fixés sur lui, attentifs, tendus. Certains essayaient de dissimuler leurs sentiments.

— Nous avons obtenu de nouveaux détails sur ces galères armées que le commandant Neale et moi-même avons pu observer lors de notre petite expédition dans la Baltique. (Sourires.) Les Danois en possèdent bien plus que je ne croyais au début et les gardent au sud de Copenhague. Elles représentent une menace évidente pour des bâtiments un peu lents naviguant en ligne de file. Il a été arrêté que le vice-amiral Nelson conduirait l’assaut principal contre les défenses et les navires de guerre au mouillage, ainsi que contre tout ce que les Danois auraient pu préparer pour nous recevoir.

Hyde Parker lui-même avait dû être assez ennuyé d’accepter que son subordonné prît en charge la partie la plus lourde de la bataille. Bolitho surprit Neale qui donnait un coup de coude à Inch et se dit qu’ils devaient penser la même chose.

— Nous sommes à présent certains que les batteries danoises ouvriront le feu dès que nous serons entrés dans la Baltique. Le commandant en chef suédois n’a rien annoncé, mais il nous faut supposer qu’il suivra cet exemple. Lorsque j’étais à Copenhague, j’ai entendu dire que les Danois s’apprêtaient à relever les bouées et à ôter les marques du chenal.

Là, plus personne ne souriait. Sans moyen de se repérer précisément dans le chenal, il faudrait progresser avec la plus grande prudence. Il suffirait de deux bâtiments qui iraient s’échouer pour faire d’une opération en bon ordre un énorme cafouillis, bien avant qu’ils eussent atteint leurs objectifs.

— Ainsi… – Bolitho s’arrêta pour jeter un œil à ses instructions – … l’escadre embouquera le chenal sous le couvert de l’obscurité pour contourner les défenses du port et attaquera les galères avant qu’elles aient le temps de s’en prendre à la flotte.

Il s’obligeait à parler lentement pour dissimuler son scepticisme.

— La drome de l’escadre sera employée à sonder, je veux un officier ou un officier marinier expérimenté à bord de chacun des canots. Nous maintiendrons un contact serré en permanence, mais avec un minimum d’échange de signaux. Il semble certain que nous ne franchirons pas ce passage sans être détectés, et il faut s’attendre à subir quelques avaries. Pour cette raison et pour d’autres encore, nous resterons sur la rive suédoise du chenal afin de rendre la vie aussi dure que possible aux canonniers danois, compris ?

La plupart d’entre eux hochèrent la tête, mais Peel se leva brusquement et lui demanda :

— Si la flotte est prise à partie par les défenses danoises, amiral, qu’adviendra-t-il de nous ?

— Vous me le demanderez le moment venu.

Il appréciait beaucoup l’air du commandant Rowley Peel. A vingt-six ans, il avait acquis la réputation d’un excellent commandant, encore qu’il eût plus l’air d’un fermier que d’un officier de marine. Bolitho savait que cela n’était guère surprenant, puisque Peel était issu d’une longue lignée de propriétaires terriens et aurait été autant à sa place au milieu de ses bêtes et de ses récoltes que sur une dunette.

— Bien, amiral, répondit Peel en faisant la grimace. Avec Nelson à un bout et vous à l’autre, je crois que nous parviendrons à en réchapper !

Bolitho s’appuya sur ses mains pour les observer tour à tour.

— Maintenant, l’ordre de bataille. L’Implacable, qui est la plus grosse de nos frégates, prendra la tête, avec La Vigie en soutien rapproché.

Il se tourna vers Neale qui se dressa sur ses ergots comme un jeune coq lorsqu’il lui annonça :

— Vous resterez derrière pour répéter les signaux de l’escadre ou lui transmettre les nôtres.

On aurait pu croire que Neale venait de s’entendre condamner à la cour martiale alors qu’on lui épargnait de se faire hacher par les bordées ennemies.

Pendant quelques instants, il eut l’impression que leurs visages s’estompaient et qu’il était seul dans sa chambre.

Le rôle de L’Implacable était vital, il n’avait pas le choix.

En suggérant ce plan à Hyde Parker, Damerum avait probablement eu du mal à cacher sa joie. Ayant sans doute eu vent de la nouvelle affectation de Pascœ à bord de la frégate, il savait combien sa situation allait devenir bientôt précaire.

Il y eut encore quelques questions auxquelles répondirent Herrick ou Browne.

Ozzard fit son apparition avec un plateau chargé de verres et l’on porta le toast de rigueur.

Bolitho conclut d’une voix calme :

— La plupart d’entre nous nous connaissons depuis longtemps. Lorsque l’on fait la guerre, c’est une chose précieuse. Au cours de la bataille qui s’annonce, la connaissance que nous avons les uns des autres sera aussi importante que l’artillerie et la manœuvre. En ce qui me concerne et plus que tout, ce sera un grand encouragement de savoir que je suis au milieu de mes amis.

— A nous ! déclara Herrick en levant son verre.

Puis ils commencèrent à prendre congé en se demandant probablement chacun à part soi comment ils allaient expliquer à leurs équipages ce que l’on attendait d’eux.

Herrick et Browne quittèrent la chambre pour accompagner les commandants jusqu’aux canots, mais Peel traînait derrière, visiblement ennuyé.

— Qu’y a-t-il, Peel ?

— Eh bien, amiral, ce n’est pas à moi de le dire, naturellement. Mais toute l’escadre a entendu parler de votre algarade avec l’amiral Damerum. Je comprends pourquoi il nous faut adopter une ligne de conduite aussi périlleuse et, pour ma part, je suis fier de mener l’attaque. Comme Sir Hyde Parker a besoin de tous ses bricks armés et de toutes ses galiotes pour attaquer le port de Copenhague, il est évident que nous devons jouer notre rôle et disperser les galères.

— Voilà un bon résumé, Peel, acquiesça Bolitho.

Peel était têtu :

— Mais rien n’impose que votre neveu doive être à mon bord à ce moment-là, amiral ! Après tout ce qui s’est passé, c’est bien le moins que je puisse faire que de le remplacer !

Il déglutit, difficilement :

— De toute manière, amiral, il est venu ici avec moi, pour s’entretenir avec le capitaine de pavillon. J’aimerais aussi consulter votre maître pilote au sujet de quelques cartes récentes – il leva le sourcil. Dois-je vous envoyer Mr. Pascœ, amiral ?

— Oui, et merci de votre délicatesse.

Il eut le sentiment que Pascœ mettait une éternité à arriver. Il était très pâle, comme s’il avait la fièvre.

— Asseyez-vous, Adam, fit Bolitho.

Mais Pascœ lui demanda aussitôt :

— Vous n’allez certainement pas me faire débarquer de L’Implacable, amiral ?

— Non. Je vous connais mieux que vous ne croyez. Mon seul regret est d’avoir attendu si tard pour vous dire tant de choses. Si ce scélérat de Roche m’a rendu un seul service, c’est bien de m’ouvrir les yeux.

— J’en ai entendu parler, ainsi que des risques que vous avez pris. Il aurait pu vous tuer.

— Ou bien vous tuer vous, Adam, y aviez-vous pensé ?

Bolitho s’approcha des fenêtres de poupe pour admirer la ligne d’horizon grisâtre qui se balançait d’avant en arrière, comme pour faire basculer les bâtiments de l’autre côté et les faire tomber dans l’oubli.

— Je ne vous cacherai pas les sentiments que j’éprouve à votre égard, Adam. Vous représentez beaucoup pour moi, plus que je ne saurais dire. J’avais espéré que vous pourriez reprendre un jour le nom de notre famille, comme vous le méritez tant.

Il vit dans la vitre Pascœ qui s’avançait pour protester.

— Non, écoutez-moi. Vous avez subi pendant trop longtemps la honte qui est attachée au nom de votre père – il sentait son cœur cogner, le sang battait en cadence dans sa cuisse blessée. Je ne prolongerai pas davantage cet état de choses, dussé-je y perdre votre amitié. Votre père, mon frère, a tué un homme au cours d’un duel stupide. Cet homme était le frère de l’amiral Damerum, et vous pouvez constater que la haine ne s’en est jamais éteinte.

— Je comprends, amiral.

— Non, vous ne comprenez rien. Vous croyez que votre père est un traître qui a connu une mort ignominieuse – il se retourna brusquement sans faire attention à la cuisante douleur. Ce pilote, Mr. Selby, qui a perdu la vie pour sauver la vôtre à bord de l’Hyperion, c’était Hugh, votre père !

Pascœ n’aurait pas reculé plus brusquement s’il lui avait porté un coup violent. Bolitho ne lui laissa pas le temps de l’interrompre et poursuivit, sans aucun remords :

— Je croyais que tout ceci était définitivement enterré, oublié. Hugh ne connaissait même pas votre existence mais, lorsque cela fut fait, je peux vous assurer qu’il en a ressenti une grande fierté. Il m’a fait promettre de garder le secret. Si cela n’avait pas été le cas, il aurait pu y laisser la vie et à vous, cela aurait coûté quelque chose d’encore plus cher. Mais enfin, il est mort en brave et il n’aurait pas pu rêver meilleure cause.

Il comprit soudain que Pascœ était debout, tanguant comme s’il allait perdre l’équilibre.

— Il faut que je réfléchisse à tout cela, dit lentement Pascœ – il regardait la chambre comme un animal traqué. Je… je ne sais que dire ! Mr. Selby ? J’en étais venu à l’aimer. Si j’avais seulement su…

— Oui.

Désemparé, Bolitho le voyait s’abîmer dans le trouble et le désespoir, il sentait son rêve lui échapper comme le sable s’écoule dans le sablier.

Il leva les yeux vers la claire-voie en entendant des bruits de pieds au-dessus de sa tête. L’escadre se préparait à rallier le point de rendez-vous final, à l’entrée du chenal du Sound.

— Il vaut mieux que je regagne mon bord, amiral, fit soudainement Pascœ. J’étais venu voir le commandant Herrick, au sujet de ce Babbage et de l’aspirant Penels – il leva les yeux. Et naturellement, j’étais aussi venu vous voir.

— Merci de cette pensée, Adam.

Pascœ hésitait encore, les doigts sur la poignée de la porte.

— Accepterez-vous de m’en dire plus un jour, au sujet de mon père ? Maintenant que je sais la vérité ?

Bolitho traversa la chambre et le prit par les épaules.

— Mais bien sûr, en avez-vous douté ?

Pascœ avait retrouvé tout son calme. Il répondit à Bolitho, en le regardant droit dans les yeux :

— Et vous, mon oncle, avez-vous douté de mes sentiments ? Après tout ce que vous avez fait pour moi, après tout le bonheur et la fierté que nous avons partagés, imaginez-vous un seul instant que je puisse faire autrement que vous aimer ?

Ils se séparèrent, tous deux incapables de prononcer un mot. Puis Bolitho lui dit :

— Prenez grand soin de vous, Adam. Je penserai à vous. Pascœ chassa une mèche de cheveux noirs sur son front et remit sa coiffure en place.

— Et moi, mon oncle, je garderai les yeux fixés sur votre marque. Il se retourna brusquement et faillit se cogner dans Allday qui attendait de l’autre côté de la porte.

— Alors, fit brusquement Allday, il sait tout, amiral ?

— Oui.

Allday s’avança pour chercher un verre propre.

— Il pétait de joie, voilà ce qu’il faisait, il pétait vraiment ! – il hocha la tête et fit une grimace. Aussi bien, valait mieux que ça soye vous qui veilliez sur lui. Sans ça, que j’aurais viré ou pas, ce diable-là se serait jeté dans mes pattes !

Bolitho avala son breuvage sans même savoir ce qu’il buvait. Dans deux jours environ, ils seraient en train de se battre pour sauver leurs vies.

Mais le vieux fantôme était mort, définitivement mort.

 

Cap sur la Baltique
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